Quand on
regarde de près les petites annonces, on constate vite que beaucoup de
recherches de correcteur concernent en fait des stages.
Ces stages ne sont en rien
l’occasion de former un débutant grâce à l’excellence d’un ancien déjà en
place, ils sont l’opportunité d’avoir sous la main quelqu’un qui effectuera
dans le cadre professionnel une mission de correction qui autrement serait passée à la trappe ou aurait été
faite par le copain ou la belle-mère, au motif qu’ils ont toujours été bons en
orthographe.
Appelons un
chat un chat, cette méthode de « stages » permet avant tout de voir le travail
réalisé sans le moindre paiement. Un stagiaire chasse ensuite l’autre, et tout
va bien – ou presque.
Le compte rendu
de la 1re table ronde le signalait, les éditeurs qui rémunèrent proposent
des statuts précaires sans jamais renoncer à leurs prérogatives.
"Car, de fait, les éditeurs ne se privent pas de recourir à ce statut, tout
en conservant leurs prérogatives : demande de C.V. et de lettre de motivation aux
micro-entrepreneurs, lien de subordination conservé, fixation des tarifs et des
délais des travaux, tout cela sans versement de cotisations sociales, en
mettant en concurrence les correcteurs et en abaissant la qualité du travail
fourni. De fait, des personnes peu scrupuleuses s’improvisent correctrices
parce qu’elles étaient douées en dictée en CE2, mais la loi du marché prime
!"
Ne nous
méprenons pas, c’est le cas des meilleurs. Les pires, nous venons d’en parler.
Pour eux, ce ne sont ni le résultat ni la qualité du travail qui priment, mais
l’absence de paiement. Qu’importe tant que c’est gratuit !
Les autres, meilleurs
éditeurs donc, rémunèrent un professionnel.
Voyons un peu
comment cela se passe :
À la tête d’une
grosse structure, généralement parisienne, ils embauchent. Sélectionnés sur C.V.
et test, leurs correcteurs (plusieurs, bien sûr) travaillent sur site. Les
places sont très rares. Les correcteurs de maisons importantes peuvent aussi
être employés à domicile. En tant que TAD, travailleur à domicile, le
correcteur reçoit un volume à corriger et un calendrier, en fonction du temps de
travail contractuellement imparti. Il est dégagé du paiement de ses charges
dont s’acquitte l’éditeur. Il sera couvert en cas de maladie et pourra faire
valoir des droits à la retraite.
Mais de plus en
plus souvent, les éditeurs cherchent des correcteurs capables de facturer. Ceux-ci doivent donc être entrepreneurs.
C’est quasiment le seul préalable, l’unique critère incontournable vis-à-vis
d’entreprises de taille moyenne à petite, voire très petite.
L’éditeur confie
une mission de correction, un texte plus ou moins long, en fixant le délai de
restitution et le tarif. Ces deux points, bien sûr, sont a priori négociables,
sauf que, si un correcteur chipote, d’autres feront moins les difficiles.
En acceptant de
facturer, le correcteur dispense l’éditeur de charges patronales et s’engage à
payer ses propres cotisations : santé, retraite.
Pas de congés
payés pour le travailleur qui a de fait le loisir de bosser… tout le temps, et
qui ne percevra pas un euro s’il prend des vacances – ce qu’il hésitera à faire
puisqu’il risquerait d’être remplacé pendant son absence… Pas de congés maladie
et pas davantage de retraite garantis par l’emploi puisqu’on n’existe pas
dans l’entreprise partenaire.
Le correcteur
est donc dans un cercle vicieux qui consiste à ne jamais refuser de boulot et à
se voir de préférence confier les missions en temps réduit ou serré.
L’éditeur, qui n’est
pas engagé avec le prestataire, peut donner du travail à sa guise, voire ne
plus en donner du tout, sans la moindre information. Après un silence radio de
plusieurs mois, sans explications, on peut solliciter le correcteur
là-maintenant-tout de suite, comme s’il était à disposition, sans aucune autre
activité, vivant de l’air du temps entre deux missions.
À noter aussi
que la facturation permet des délais très aléatoires de paiement. Le règlement
pourra être immédiat, fin de mois, mois suivant, ou… quand ça arrange
l’éditeur. Pas simple dans ces conditions de gérer un budget. Pourtant, une fois
encore, le correcteur fera avec, par crainte de ne plus se voir confier les
quelques travaux qui lui reviennent s’il a tendance à grincer des dents.
Avant même une
reconsidération du statut, il suffirait de pas grand-chose pour passer de
l’intenable à quelque chose de plus supportable : factures honorées dans
des délais réguliers, information sur les projections de travail afin que le
prestataire anticipe l’éventuelle surcharge ou l’absence d’activité, délais
suffisants pour ne pas devoir travailler un nombre d’heures important chaque
jour sans la moindre récupération physique, etc. — autant de mesures qui, sans la moindre volonté
politique nationale, seraient déjà une vraie bouffée d’air frais.